L’échelle de meunier qui me sert d’escabeau de peintre à l’atelier profitait d’une pause bien méritée au soleil de mai, où je l’avais exposée pour la délivrer un peu des attaques d’acrylique, huile, colle et autre essence de térébenthine qui l’agressent continuellement.
Un rosier grimpant, qui dans le cas précis dégringolait du mur mitoyen, profitant du souffle léger d’une brise de printemps (que je soupçonne de maligne complicité) vint choir sur un barreau de l’échelle, comme en une caresse de soie, comme pour remercier par l’offrande le sacrifice de l’objet.
J’ai attendu la fin des amours de la fleur et du bois pour rentrer l’échelle.
Dans la courette, le beau soleil de printemps nous a donné l’envie de profiter de l’espace, même restreint, de ce rectangle de terrasse grand comme un mouchoir de poche.
Une table, deux chaises et le plaisir serait là, sans aucun doute. Pour placer ces malheureux éléments, un grand nettoyage s’est imposé : branchettes, briquettes et autres breloques stockées dans ce débarras à ciel ouvert, qu’il ne nous restait plus qu’à jeter pour profiter pleinement de l’espace.
Mais à la nuit tombée, voilà que l’empilement d’inutile fait le spectacle sous les projecteurs.
Pas de déchetterie au programme.
Tel un Général napoléonien surveillant ses troupes à la longue vue sur la rive du lac opposée à la bataille, dans un silence surnaturel, l’aulne scrute les eaux calmes, dans l’attente immobile d’un hypothétique évènement exceptionnel.
Ses branches, chargées de feuilles et de fruits, lourds et presque momifiés par l’automne, ressemblent à autant de rangées de médailles militaires, dénaturées par leur abondance même, et qui se laissent flotter au vent, humbles, sachant la vanité de la bataille, des décorations obtenues et de l’attente même de l’issue des combats.
Elles rêvent de quelque bise d’hiver, qui les fera tomber à terre, les affranchissant du sens qu’elles n’avaient plus pour personne.
L'orage approche, menaçant. Le tonnerre roule sous la couche nuageuse. Le sol
attend fébrilement l'onde salvatrice et nourrissante.
Les feuilles
frissonnent sous la brise annonciatrice du grain, comme impatientes de
l'ondée. Les hommes aussi attendent la déchirure qui rafraîchira l'atmosphère
étouffante du soir.
Un invité vient partager cette veille, en contrejour
fantômatique sur les bras noueux du pêcher.
Pendant une longue seconde, minéral, végétal, animal et humain
sont en symbiose totale, en communion, dans cette attente primaire et
primordiale de l'eau.
Puis le déluge.
En haut du sentier où je me suis enfoncée depuis quelques heures, dans le chant angélique des feuilles bruissantes et des froufroutements des fourrés sous les pas d’animaux invisibles, dans une pénombre de cathédrale, me voilà arrivée au but insoupçonné de ma balade.
Le temple naturel et secret de la forêt ouvre devant moi ses portes. Je sens confusément que je ne peux m’engager par là qu’en étant préparée à entrer au cœur de la forêt comme on entre dans le chœur d’une église, avec tout le respect et la spiritualité requis, pour venir ici communier dans le silence et la lumière des dieux sylvestres.
Comme mal réveillée d’une nuit passée à boire et à fumer le cigare avec quelques
convives, ma pelouse ce matin a le cheveu hirsute et le teint
blafard.
Impossible de dompter ces farouches épis, que même un souffle ferme de bise ne réussit qu’à temporairement plier.
Les longues heures de farniente au soleil n’y changeront rien, même pire : les touffes rebelles se redressent et pâlissent encore à vue d’œil, comme animées d’une vie propre et sentant venir les hauts le cœur à force de tanguer dans le vent.
Ce soir, pas d’issue, à l’heure de l’apéro, il faudra tourner à l’eau.
Impossible de dompter ces farouches épis, que même un souffle ferme de bise ne réussit qu’à temporairement plier.
Les longues heures de farniente au soleil n’y changeront rien, même pire : les touffes rebelles se redressent et pâlissent encore à vue d’œil, comme animées d’une vie propre et sentant venir les hauts le cœur à force de tanguer dans le vent.
Ce soir, pas d’issue, à l’heure de l’apéro, il faudra tourner à l’eau.
Au dessus de moi la toile immense du ciel s’étend jusqu’à l’infini. Elle est
uniformément peinte en bleu, profond, lumineux. Au pied du lampadaire, je souris
: aujourd’hui semble-t-il les rôles sont inversés, c’est l’azur qui éclaire
d’une vive lumière ce grand mât solitaire qui se retrouve sans plus grand-chose
à faire que rester là immobile en gardant son panache malgré le chômage
technique.
Sa ligne blanche rehausse le pur cyan du ciel. Les heures sombres
à venir, à n’en pas douter, lui rendront sa superbe.Mais en attendant, l’allumeur allumé se laisse dorer au soleil.
Un vent léger la fait danser en douceur, arrachant ici ou là un cil ou deux qu’il transforme aussitôt en flocons parachutistes.
La danse improvisée pourrait durer un siècle, mais voilà que le vent tourne et s’étoffe et s’agite.
Et dans un dernier souffle de l’air chaud de mai, la structure ouatée se désintègre en mille montgolfières.
L’espace d’un instant, alors que je ne faisais que passer par là sans lui prêter attention, je me demande si l’arbre n’a pas jeté son dévolu sur moi, en toute conscience et avec malice, pour attirer mon regard et ma considération, fatigué de toujours passer au second plan, ainsi planté sur le front de mer avec l’océan pour adversaire.
Adopté à la Sainte Catherine, comme le veut la tradition, avec ses jolies
feuilles cirées d'un vert profond cernant, comme autant de collerettes de
costume Renaissance, des jolies grappes de lourdes billes vermillon, le skimmia
avait décoré avec un raffinement exquis la table de Noël, égayé aussi la
décoration du Nouvel An.
Je croyais son oeuvre saisonnière terminée et
attendais le printemps pour le voir reprendre son cycle. Mais cette plante aime
les festivités. Et au début de mars, dans les frimas qui font hésiter encore les
jeunes pousses, ses billes rouges ont explosé toutes en même temps dans un final
de feu d'artifice.
Les herbes folles, vert pomme dans le soleil cru, restent
étonnamment sages sur ses bords, sans empiéter sur le territoire ainsi
matérialisé.
Cet escalier est pour l'eau des sommets qui descend la
montagne en filet doux. L'homme et la nature, respectueux d'elle, source de vie, lui
ont réservé un chemin, artère au pouls timide à flanc de côteau.
Je trouverai une autre route pour grimper.
Je ne suis pas la seule ici. Gendarmes, fourmis, araignées, papillons, abeilles et toutes ces bestioles dont on ne sait jamais le nom, s'affairent à séduire, à engranger, à construire, à creuser.
Une effervescence invisible.
Sur la fleur de rhubarbe, minuscule et solitaire, la coccinelle semble se dorer au soleil, comme plongée dans une quiétude de sieste.
Nos différences s'effacent le temps d'un sourire dans ce moment et cette sensation partagée.
Laissons les colonies à leur agitation.
Depuis l'aube fraîche les hommes travaillent pour soulager les ceps de leurs lourdes charges. Harassés à cette heure, le produit de leur récolte désormais confinée dans les fûts au nectar prometteur, ils s'en retournent avec les quelques raisins prélevés pour le plaisir du palais, en souvenir de la journée, en avant-goût du vin précieux qui se fera connaître dans quelques mois. Les verres de chenin blanc de l'an dernier, frais et dorés, attendent sur la table du jardin, cérémonial incontournable pour clôturer la journée, et le soleil, à travers la treille, caresse une dernière fois avec une douceur infinie les grappes généreuses de cette saison-ci.
Je ne suis pas la seule ici. Gendarmes, fourmis, araignées, papillons, abeilles et toutes ces bestioles dont on ne sait jamais le nom, s'affairent à séduire, à engranger, à construire, à creuser.
Une effervescence invisible.
Sur la fleur de rhubarbe, minuscule et solitaire, la coccinelle semble se dorer au soleil, comme plongée dans une quiétude de sieste.
Nos différences s'effacent le temps d'un sourire dans ce moment et cette sensation partagée.
Laissons les colonies à leur agitation.
Depuis l'aube fraîche les hommes travaillent pour soulager les ceps de leurs lourdes charges. Harassés à cette heure, le produit de leur récolte désormais confinée dans les fûts au nectar prometteur, ils s'en retournent avec les quelques raisins prélevés pour le plaisir du palais, en souvenir de la journée, en avant-goût du vin précieux qui se fera connaître dans quelques mois. Les verres de chenin blanc de l'an dernier, frais et dorés, attendent sur la table du jardin, cérémonial incontournable pour clôturer la journée, et le soleil, à travers la treille, caresse une dernière fois avec une douceur infinie les grappes généreuses de cette saison-ci.
Le muret fonce vers le fond du jardin au pas de charge, tel un
rang de soldats romains, marquant la frontière entre deux territoires voisins
depuis il ne sait même plus quand ni pourquoi ni quels voisins d'ailleurs. Mais
ce sont les ordres.
Et ce matin, dans la douce lumière de février, par les
caprices de la météo, le voilà chapeauté d'une feutrine légère avec à ses pieds
l'immensité immaculée d'une terre inexplorée, inhabitée, et nul voisin à
séparer.
L'espace d'une journée, il est un simple habitant civil du
double territoire pacifié qu'en temps normal il sépare. Il se prend à rêver
d'être muté dans une garnison d'Alaska.
Sous les rosiers, au coeur de mai, je m'apprête à arracher, à quatre pattes, les tendres pousses de mauvaises herbes et autres belles de jour qui envahissent le sol en quelques jours.
Je passe la tête, m'aplatis encore un peu, une main gantée en
avant, prête au nettoyage, mais mon regard me stoppe dans mon élan.
Ainsi courbée, j'ai un point de vue de fourmi, de coccinelle
ou même de chat : je sais que mon corps gigantesque en ce lieu ne passera pas,
mais je ressens tout à coup le plaisir de l'exploration de cette jungle vierge,
fraîche, humide, et je renonce à mon acte de sabotage.
Une après-midi encore fraîche d'avril, l'arbre me tend un bouquet de fleurs
immaculées dans le pur ciel bleu électrique de la fin d'hiver.
Comme un bouquet de la mariée, il renferme une promesse
mystérieuse : celle de l'engagement à venir de fournir prochainement les mille
billes rouges, sucrées et goûtues qui combleront mon palais et mes
matinées-cuisine en confitures, bocaux au sirop et autres chutneys au
gingembre.
Quand il portera ses fruits à moi dédiés, il aura perdu cette
élégance raffinée qu'il m'offre aujourd'hui.
Finalement, mon cerisier me séduit en avril.
Dans la froide matinée d'hiver, au dessus de ma fenêtre, la
branche me protège, comme une ombrelle fragile.
Parée des multiples couleurs que les saisons lui ont données,
et qu'elle a gardées comme en souvenir, elle guette le retour du printemps et de
la sève qui lui redonnera son teint vert profond et ses roses chéries.
Elle s'inclinera alors sous le poids des fleurs, devenue autre, devenue mère, passée de cette insouciance légère qu'elle me donne aujourd'hui à la responsabilité primordiale de nourrir ses filles.
Elle s'inclinera alors sous le poids des fleurs, devenue autre, devenue mère, passée de cette insouciance légère qu'elle me donne aujourd'hui à la responsabilité primordiale de nourrir ses filles.
Je m'approche intriguée de cette fleur blanche aux reflets citronnés qui
semble s'être accouplée aux fragiles cosmos rosés tournés vers le soleil.
Surprise ! Les pétales sont les ailes d'un citron volant, qui faisait une
pause dans ses danses amoureuses.
La seconde suivante, la bienaimée me frôle en virevoltements soyeux. Le
paresseux se détache sans hésiter de son parasol improvisé pour reprendre à
l'infini ses valses aériennes
Agenouillée auprès de mes protégées, je désherbe, nettoie,
ameublit, chouchoute, en récitant mignonne allons voir si la rose...
Dans ce doux silence de la roseraie, le vrombissement étouffé
d'un hélicoptère me survole, une ombre plane et s'abat sans ménagement sur la
fleur que je m'apprêtais à couper.
D'hélicoptère, point. Le cétoine doré, hanneton des roses,
dans son costume d'or vert, est venu chercher son déjeuner sur pistil. Rencontre
inopinée.
La seconde d'après, il s'était emmitouflé profondément dans
les pétales soyeux de la rose.
Je ferai un bouquet demain
L'arbre est-il vraiment mort ?
A trôner ainsi au milieu des pieds de tomates, on jurerait qu'il surveille l'horizon, comme un gardien assurant la sécurité du potager
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